João Gilberto + Astrud Gilberto + Stan Getz : Girl from Ipanema |
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- Pour clore cette saga de la bossa nova, retour à la case départ avec le thème phare de cette musique, cette fille d’Ipanema qui passait tous les jours devant le bar où sirotaient Tom Jobim et Vinicius de Moraes. - Les “aaah” langoureux qu’elle leur suggérait sont dans la chanson, qu’elle soit chantée en portugais (“garota”) ou en anglais (“girl”). - 3 des pionniers de cette aventure, qui se sont trouvés à New York dans les années 60, ont donné à la belle carioca une dimension planétaire. Au départ, c’est Stan Getz, le sax US, qui a suggéré à João Gilberto de faire chanter sa femme Astrud. - Un demi-siècle après ses premiers émois, la bossa est toujours aussi nova, novatrice, en fait.
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Sergio Mendes 2006 feat Marcelo D2 : Samba da benção |
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- Il a été le premier à monter un groupe 100 % Brésilien aux USA : Sergio Mendes est un grand bonhomme de ce croisement jazz et bossa. Sergio Mendes a passé toute sa carrière en Californie, il y a côtoyé la crème du jazz et plus largement du groove US, contribuant à pimenter tout ça de son Brésil. - Dernier projet en date, deux albums avec ses jeunes fans dans la sphère hip hop et NU soul, Will.I.Am, Black Eyed Peas, Erikah Badu. - Exemple de l’éternel recyclage, une production de Will.I.Am, la “Samba da benção” de Baden Powell, par le plus percutant des rappers Brésiliens, Marcelo D 2. |
BossaCucaNova feat Roberto Menescal : Feitinha pro poeta |
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- La bossa nova, une musiquette pour bars internationaux ? C’est faire peu de cas de la subtilité de son architecture et de sa sensualité. - C’est aussi ne pas prendre en compte l’évolution dancefloor de la bossa, avec le nouveau millénaire. Les Allemands de Jazzanova, le Londonien Gilles Peterson, le Canadien Moonstarr, les Hollandais de Zuco 103 mixent avec tonus bossa et samba avec drum n’ bass ou breakbeat. - Les Brésiliens ne sont pas en reste, comme le collectif carioca BossaCucaNova, qui revisite electro le répertoire des années 60. Ainsi ce thème de Baden Powell customisé drum n’ bass “Feitinho pro poeta”, où le guitariste pionnier de la bossa nova d’époque, Roberto Menescal, fait, à 75 ans, ses débuts de... chanteur, eh oui ! |
Raul de Souza (Focus on Bossa Nova) : A vontade mesmo |
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- On l’a vu, les musiciens de jazz US s’approprient la bossa nova et pas seulement le prolifique répertoire made in Brazil. Et, du coup, les Etats Unis deviennent un Eldorado pour de nombreux musiciens Brésiliens. - Au-delà des Jobim et autres João Gilberto, les instrumentistes font leur trou. Ils sont étonnamment bien accueillis par le milieu du jazz, voir Sergio Mendes et son Brasil 66, les percussionnistes Airto Moreira, Dom Um Romão, le guitariste Laurindo Almeida, les vocalistes Flora Purim et Milton Nascimento, le multi instrumentiste feu follet Hermeto Pascoal, adoubé (et pompé, dit-on) par Miles Davis. La liste est impressionnante. - Moins connu mais tout aussi star, le tromboniste Raul de Souza, d’abord connu sous le diminutif Raulzinho. Il deviendra compagnon d’armes de Sonny Rollins, Sarah Vaughan, Cannonball Adderley et enregistrera aux USA une demi-douzaine d’albums, avec un énergie groovy, comme le préfigurait ce titre qui date de ses jeunes années brésiliennes. |
Caetano Veloso : Billie Jean |
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- 3° et dernière semaine de cette épopée bossa nova. On va explorer les digressions de toutes sortes que cette musique induit. - Dans le précédent chapitre, je vous présentais cette version bossa de Charles Trénet et son “Que reste t’il de nos amours ?”. On peut à peu près tout relooker bossa nova, voir le projet de Marc Colin “Nouvelle Vague”, où la new wave anglaise des années 80 se voit rhabillée minimal, en string, comme sur la plage de Copacabana. - Prenez “Billy Jean”, vous étiez certain que c’était une création Michael Jackson, un peu... disons... saccadée ! Eh bien, en écoutant la divine version de Caetano Veloso, une voix (quelle voix !), une guitare (quelle guitare !), il y a de quoi être ébranlé dans ses certitudes. Et si Billie était née bossa ? |
João Gilberto : Que reste t’il de nos amours ? |
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- João Gilberto est un infatigable exhumeur de vieilles sambas oubliées de tous. Il déterre ces trésors, les cisèle, les polit pendant parfois 6 mois avant de les montrer à qui que ce soit. Car João vit reclus dans un hôtel-résidence à Rio. Dans les années 70, venu à Mexico pour une semaine, il y a passé 10 ans !!! - João Gilberto aime bien parfois piocher dans d’autres patrimoines, comme cet “Estate”, langoureuse balade italienne. - Cette fois, c’est une chanson nostalgique tellement française qu’il rhabille à la sauce bossa, avec les orchestrations soyeuses grand spectacle d’un maître du genre, Clare Fisher . “Que reste t’il de nos amours ?” : voici Charles Trénet relooké pour une autre éternité. |
Rosa Passos & Henri Salvador : Wave |
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- Ces dernières années, on a souvent entendu que l’inventeur de la bossa était Henri Salvador. Pas vrai mais... Pas si faux ! - C’est vrai que dans ses jeunes années, Salvador a tourné au Brésil avec le grand orchestre de Ray Ventura et y a séjourné 4 ans. Mais c’était de 42 à 46, bien avant la bossa, donc. - Il n’y reviendra qu’en 2006, pour son dernier album avant sa mort. Mais voilà, quelques décennies plus tôt dans sa jeunesse pré-bossa, Antonio Carlos Jobim tombe sur un obscur film italien. Dans la B. O., la chanson de Salvador “Dans mon île”. Fasciné, Jobim se procure le 45 tours, il se trompe et l’écoute en 33 tours, au ralenti. L’histoire que Jobim lui-même racontait est un peu chromo, Salvador l’a emporté dans sa tombe. - Dans son ultime album, Henri Salvador reprend “Dans mon île” en duo avec Gilberto Gil. Mais deux ans plus tôt, il a pour la seule et unique fois enregistré en portugais, cette fois en duo avec une sublime brésilienne, Rosa Passos. Oui, en portugais, malgré le titre anglais, “wave”. |
Baden Powell : Choro para métrònomo |
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- La bossa nova, musique de blancs, genre aseptisé, le procès est récurrent, surtout de la part des conservateurs qui ne jurent que par la samba des racines. - Pour faire mentir ces réacs, rien qu’un homme, pour qui aucune barrière n’existe entre samba et bossa, Baden Powell, chanteur intimiste et surtout fabuleux guitariste entre le classique et l’afro, le jazz et le choro, ce swing à la brésilienne. Ses “afro sambas” fascinent encore le monde des guitaristes. - Il est l’auteur de cette fameuse “Samba da benção”, adaptée en français par “notre” brésilien Pierre Barouh sous le titre de “Samba Saravah “, qui sera reprise 4 décennies plus tard par Marcelo D 2 sur tempo hip hop. - La guitare de Baden, qui a longtemps vécu à Paris puis, ça ne s’invente pas, à Baden Baden (en Allemagne), pouvait dialoguer avec une boîte d’allumettes ou, comme ici, un métronome ! |
Vinicius de Moraes & Martia Creuza : Si todos fossem iguais a você |
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- Partout où Vinicius de Moraes passe, c’est la fête. Noceur, Bohème, comme on dit à Rio, celui qui se qualifie de blanc le plus noir du Brésil est un aussi un poète érudit, partenaire naturel de Tom Jobim, Baden Powell ou Toquinho... Et un mari croqueur de femmes (il en épousera 7 !) - Longtemps diplomate à Paris, il y a animé d’innombrables nuits blanches et ses concerts moitié chantés moitié parlés où il disserte attablé devant son verre de whisky sur la scène de l’Olympia dans les années 70 marqueront les esprit. - Avant cela, et pendant les années de dictature militaire, il a assidûment fréquenté Buenos Aires en Argentine voisine, en témoigne une paire de disques “Live à la Fusa”, albums-culte qui vont initier des milliers de Français à la bossa, avec comme partenaires Maria Bethânia ou ici Maria Creuza. “Ah, si tous étaient comme toi”. Tous, et toutes, surtout, OK, Seù Vinicius ? |
Tamba Trio : Desafinado |
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- La bossa nova a ses thèmes emblématiques, 1 000, 100 000 fois repris, adaptés, sur la planète entière... Y compris, bien sûr, le Brésil. Prenez “Desafinado”, littéralement “désaccordé”, en extrapolant, dissonant, chanson de Jobim et Newton Mendonça. Extrait de la traduction : Si tu dis que je chante faux, amour, Saches que ceci provoque en moi une immense douleur / Seuls les privilégiés ont une oreille comme la tienne, Moi, je possède tout juste celles que Dieu m'a donnée / Si tu insistes pour définir mon comportement d'anti-musical / moi, même si je mens, je dois argumenter que c'est de la bossa nova, que c'est très naturel ! - En voici une version hallucinante en changements de tempo par le très “jazzistique” Tamba Trio, caïds cariocas des instruments comme des voix. |
Horace Silver : Swingin’ the samba |
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- Il faut bien deux ans pour que le terme générique de Bossa Nova désigne cette planète satellite échappée de la galaxie samba. Et beaucoup moins pour que les oreilles des musiciens de jazz US s’ouvrent à ce singulier courant, à la fois familier et étrange. Les premiers, Stan Getz, Charlie Byrd, Gerry Mulligan, Sarah Vaughan, s’accaparent cette musique et les thèmes qui vont avec. - En 62, le 21 novembre, grande transhumance de la bossa, de Copacabana au Carnegie Hall de New York, pas tous les Cariocas mais presque... Dans le public, Miles Davis, Dizzy Gillespie, Peggy Lee. Trimphe retransmis en direct à la radio brésilienne. - C’est parti pour la bossa aux USA. Donc sur la planète. Le seul genre musical au monde imposé par les musiciens eux-mêmes plus que par le business. Tout est bossa, et le phénomène va durer jusqu’à aujourd’hui. Avec un réservoir inépuisable de musiques d’ascenseur, pour le pire, mais de brillantes adaptations de l’esprit bossa, comme ce “Swingin’ samba” signé du pianiste Horace Silver. |
Edu Lobo & Maria Bethânia : Pra dizer adeus |
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- La bossa nova, dans le Rio de fin des années 50 et aube des sixties, c’est une bande de potes à géométrie variable qui quadrillent Copacabana et Ipanema des plages aux bars en passant par les appartements des uns et des autres, c’est musique 24 heures sur 24. - Il y a les 2 érudits de la guitare, Roberto Menescal et Carlos Lyra, fascinés par le jazz, Ronaldo Boscoli, journaliste devenu auteur de chansons, Vinicius de Moraes, poète et noceur qui deviendra –aussi- diplomate, il y a encore la muse de la bossa qui rend folle la gente masculine, Nara Leão. - Il y a bien sûr Jobim, le compositeur prolixe qui se saisit de tout pour en faire une chanson , et João Gilberto, qui chante à toute heure, chaque fois plus susurrant. Il paraît que ce sont les plaintes des voisins qui l’amèneront à susurrer de plus en plus feutré. Eh oui, le syndrome du voisin va contribuer à définir la bossa nova. - Et puis il y a –très vite- une seconde génération, comme ces deux extraordinaires débutants que sont Edu Lobo et Maria Bethânia, débarquée de son Bahia natal. Avec ce “Pra dizer adeus” déchirant. |
Elizeth Cardoso (Orfeù Negro) : Manha de Carnaval |
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- “Orfeù Negro”, quelle drôle d’histoire. Ce film, palme d’or en 59 à Cannes a contribué à mettre sur orbite planétaire la bossa nova. - Pourtant, cette transposition du mythe grec d’Orphée et Eurydice par le poète Vinicius de Moraes, d’abord pièce de théâtre à Rio en 54, devenue un film... Français, eh oui. - Tourné par Marcel Camus , avec dans les rôles principaux une actrice noire américaine, Marpessa Dawn, et un footballeur pro croisé dans la rue, Breno Mello (mort en juillet dernier), ce long métrage a toujours été mal vu des cariocas, les habitants de Rio : superficiel, voire cliché, reprochent-ils. Et bossa nova, pourrait on ajouter, à une époque où cette musique était considérée élitiste. - La B.O. signée Tom Jobim, toujours lui, et Luiz Bonfa, est unique, alliant batucada de carnaval ou samba mythique avec mélodies minimalistes satinées. Comme ce “Manha de Carnaval”, matin de carnaval, chanté à l’image par Elizeth Cardoso. |
Tom Jobim & Dorival Caymmi : Saudade da Bahia |
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- Bossa nova, ça veut dire nouveau style, nouvelle vague. Comme tous les mouvements, le nom ne s’impose pas d’emblée pour définir une musique - Juscelino Kubitschek, élu en 1956, sera surnommé le “président bossa nova”. Les architectes du Brasilia qu’il concocte (Oscar Nimeyer et Lucio Costa) sont bossa nova. - Et l’architecte musical de la bossa nova est Antonio Carlos Jobim, surnommé Tom Jobim. Harmonies différentes, thématiques plus modernes que la chanson dramatisante de l’époque. Plus élite, aussi, par rapport à la bonne vieille samba et pourtant un lien charnel existe entre les deux. - Car João Gilberto vient de Bahia, terre créole, comme Dorival Caymmi, son aîné, le compositeur des chansons de Carmen Miranda et le patriarche de la musique brésilienne, un mythe vivant... Jusqu’à sa mort récente, le 16 août dernier ! - Justement, le pont entre ces créateurs passe par la rencontre : Jobim jeune et Caymmi à son apogée, encore de la saudade, ce mix de blues et de nostalgie, “Saudade da Bahia”. |
João Gilberto & Bebel : Chega de saudade |
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- 1958, c’est l’entrée du Brésil dans le grand monde, et la modernité, d’abord, c’est la 1° Coupe du Monde gagnée, en Suède avec notamment Pelé et Garrincha, les magiciens.. - Le chantier de Brasilia commence, on fait surgir du néant une capitale au milieu du plateau central... Bien loin du Pain de Sucre.. - Toujours capitale, Rio is beautiful : Ipanema et surtout Copacabana, les beaux quartiers, prospèrent. - Un jeune gars plutôt timide venu du nordeste du Brésil se trimballe avec sa guitare. Il tombe sur les “bronzés de Copacabana”, fils et filles de bonne famille. ll squatte, il épate, son jeu de guitare, avec un beat unique : une samba sans percussion, en somme. Et des accords périlleux qui flirtent avec la dissonance. - En août 58 sort le 1° single de João Gilberto, un 78 tours, une chanson signée Antonio Carlos Jobim et Vinicius de Moraes, “Chega de saudade”, basta la nostalgie. Le manifeste. Ici, repris par lui-même bien plus tard, en 80, avec sa fille Bebel, alors âgée de 12 ans |